La Chambre des Communes du Canada a entre ses mains un projet de loi qui veut la privatisation de Radio-Canada. (Le pays compte déjà de nombreuses chaînes de télévisions et de radio privées. Notons que plusieurs pays possèdent des télévisions et radios publiques et leur donnent les moyens pour remplir leur mandat).
Cette proposition fut présentée par le député conservateur de la Saskatchewan, Brad Trost, qui s’oppose au droit des femmes à l’avortement, au mariage entre personnes du même sexe, qui affiche sa religion et qui veut la disparition de Radio-Canada comme service public.
Sur sa page Facebook, il écrit : « My Private Members’ Bill C-308, the Canadian Broadcasting Corporation Privatization Act, is a plan that addresses all of the legislative and legal steps necessary to sell the CBC, saving taxpayers more than $1-billion every year.
Introduced in the House on September 29th, my bill serves as a road map on how to privatize the CBC, not just reorganize it. »
« Mon projet de loi C-308, Loi sur la privatisation de la Société Radio-Canada, est un plan qui traite de toutes les mesures législatives et juridiques nécessaires pour vendre la SRC, ce qui permettra aux contribuables d’économiser plus d’un milliard de dollars chaque année. Présenté à la Chambre le 29 septembre, mon projet de loi sert de feuille de route sur la façon de privatiser la SRC, et pas seulement de la réorganiser. » (Traduction libre)
À l’heure actuelle, selon les sondages internes, Trost occuperait la quatrième place dans la faveur des électeurs à l’intérieur du PC dans la course à la chefferie du Parti conservateur, qui s’est acharné contre Radio-Canada pendant les années Harper.
Pour mémoire, les compressions budgétaires à Radio-Canada remontent à 1984 sous le règne de Brian Mulroney et elles ont duré de nombreuses années jusqu’à la fermeture d’une douzaine de stations régionales en 1990.
Ce projet de loi est l’expression politique de ce que dans le jargon administratif de la haute direction de Radio-Canada s’appelle le Plan 2020. Un projet qui est présenté par l’employeur comme l’expression ultime de la « bonne gestion » sur l’avenir du diffuseur public.
L’initiative du député Trost lui sert vraisemblablement à mousser sa campagne dans la course à la tête des conservateurs au Canada. Cependant, l’esprit de ce projet de loi fait partie des objectifs centraux des conservateurs canadiens.
Il suffit de considérer les positions des candidats qui veulent prendre la place laissée par Stephen Harper.
Pour Maxime Bernier, l’un des favoris dans la course, Radio-Canada « devrait cesser de faire les trois quarts de ce qu’elle fait et que tout radiodiffuseur privé peut faire, et se concentrer sur ce qu’elle seule peut faire », d’après le député de Beauce.
Sur le financement, Bernier soutient que « pour remplacer ses revenus de publicité, qui s’élevaient à 250 millions de dollars en 2015, Radio-Canada/CBC devra se tourner vers le modèle de PBS/NPR aux États-Unis et compter sur des commandites de sociétés et de fondations, ainsi que des dons volontaires de ses téléspectateurs et auditeurs ».
La candidate Kelly Leitch, admiratrice de Margaret Thatcher, va plus loin. La compréhension du rôle d’un diffuseur public dans un pays aussi riche et complexe que le Canada semble lui échapper, elle veut carrément le démantèlement complet de Radio-Canada. « Tout comme dans le secteur privé, si une entreprise n’est pas compétitive et n’est pas profitable, elle ne devrait pas être en affaires (…) Les jours de distorsion contribuable-CBC/SRC (…) sont comptés » menace Mme Leitch.
Pourquoi insister sur les liens entre le Plan 2020 et les orientations idéologiques des conservateurs?
Parce que sous le gouvernement de Harper à Ottawa, les conservateurs ont installé à la direction de Radio-Canada des sympathisants de leur parti pour exécuter leurs politiques néolibérales et ultraconservatrices.
L’organisation Les amis de la radiodiffusion, qui défend le mandat de Radio-Canada, publiait en avril 2016 que « huit membres du Conseil d’administration de Radio-Canada sur dix – tous nommés par Stephen Harper – ont été ou sont encore des donateurs du Parti conservateur du Canada. »
Le National Post expliquait le 17 mai 2016 que « le Conseil d’administration de Radio-Canada est présidé par Rémi Racine, un donateur du Parti conservateur et ancien secrétaire national du Parti progressiste-conservateur.
Parmi les autres membres près de Harper et les donateurs du Parti conservateur, on compte le président de la SRC, Hubert T. Lacroix, et les directeurs Edward Boyd, Sonja Chong, Rob Jeffery, Marni Larkin, Terrence Leier et Marlie Oden. Le mois précédent, un autre candidat nommé par Harper, Brian Mitchell, a démissionné pour se porter candidat à la présidence du Parti conservateur du Canada. »
Un élément frappant parmi ceux et celles nommés par les conservateurs au CA de Radio-Canada, est que dans leur grande majorité, ils n’ont aucune expérience de travail au sein d’un diffuseur public ou une formation pour comprendre que la qualité de l’information, un des éléments clés de la démocratie canadienne, ne peut pas être laissée à la merci des lois du marché.
Le parcours du PDG est illustratif dans la démarche conservatrice de privatiser Radio-Canada. Il a « pratiqué le droit des affaires, plus particulièrement dans le domaine des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes et des valeurs mobilières. »
Il n’est pas question ici d’attaquer les personnes. On parle de la gestion du diffuseur public. Les membres du CA ont sans doute des parcours fulgurants dans d’autres domaines. Mais on ne peut pas nommer au CA d’un diffuseur public national quelqu’un qui « possède une expertise en fiscalité dans les domaines des fusions et acquisitions, des réorganisations d’entreprise et de la production de rapports financiers sur l’impôt sur le revenu » ou un autre qui se chamaillait dans l’aréna juridique au nom des corporations minières, ou une personne qui offre « des services de consultation en matière d’impôt sur le revenu ».
Du point de vue syndical, il serait naïf d’ignorer cette réalité. Notre devoir est de comprendre le tissu des loyautés idéologiques et politiques et aussi de prévoir ses conséquences pour nos membres sur le terrain.
Pour cette raison, et conscients du fait que les compressions budgétaires et des postes à Radio-Canada étaient commandées par le gouvernement conservateur à Ottawa comme expression de son idéologie néolibérale, peu avant les élections fédérales de 2015, où Harper cherchait sa réélection, des membres du syndicat, avec l’appui de la CSN et de la campagne Tous amis de Radio-Canada, se sont lancés dans une longue marche de près de 200 kilomètres de Montréal à Ottawa pour défendre Radio-Canada.
À cette marche, qui dénonçait l’assaut conservateur contre Radio-Canada et cherchait à sensibiliser la population et les élus sur l’importance nationale de la société d’État, se sont joints plusieurs candidats néo-démocrates et libéraux, notamment Stéphane Dion et Mélanie Joly, qui ont promis, s’ils gagnaient les élections, de régler la question de l’ingérence politique dans les nominations au Conseil d’administration de Radio-Canada, qui ont causé tant de dommages.
Devenue ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly avait promis déjà en 2015 que le processus de nomination des membres du Conseil d’administration de CBC/Radio-Canada serait rebâti, tel qu’il était détaillé dans sa lettre de mandat.
À l’époque, son bureau avait annoncé « la mise en place d’une nouvelle approche plus rigoureuse pour les nominations qui s’appuiera sur un processus de sélection ouvert, transparent et basé sur le mérite, qui respectera le principe de parité homme femme, et qui reflétera la diversité canadienne ».
Plus d’une année plus tard, en 2017, les promesses de la ministre du Patrimoine Joly, qui sont celles du gouvernement libéral, restent lettre morte. Entre temps, les libéraux ont eu le temps de reconfigurer le système de nomination à la Chambre des sénateurs.
La réalité nous montre que depuis plus d’une année de l’arrivée des libéraux à Ottawa, à l’intérieur de Radio-Canada les opérateurs politiques des conservateurs ont su s’accrocher au pouvoir décisionnel. Malgré le changement de garde à Ottawa, le groupe des conservateurs installés au CA et à la haute direction n’ont pas renoncé à leur orientation idéologique ni à leurs intentions de démanteler Radio-Canada.
Dans les faits, le but ultime exprimé par le projet de loi C-308 est en cours de réalisation : la privatisation de Radio-Canada. C’est à nous de mettre aussi en œuvre une réponse politique à l’un des plus chers rêves des conservateurs : la disparition d’un des piliers de la démocratie canadienne, capable de demander des comptes à tout gouvernement installé à Ottawa.
Pour cette raison, il est urgent que dans la nouvelle architecture du Conseil d’administration, le gouvernement fédéral inscrive dans la loi que Radio-Canada est un bien public et qu’il ne doive pas être privatisé, ni comme producteur ni comme diffuseur public.
Par ailleurs, à notre sens, les travailleurs de Radio-Canada, ceux qui la font vivre quotidiennement, devraient être représentés dans la nouvelle composition du Conseil d’administration.
Il est indéniable que les artisans de Radio-Canada seront des avocats pour la préservation et la pérennité du diffuseur public, qui résiste depuis plus de 80 ans.
Syndicat des communications de Radio-Canada
Le Bureau syndical